C'est une députée péroniste, Maria Beatriz Lenz, qui a déclenché la polémique en Argentine, en annonçant son intention de déposer un projet de loi en vue de rapatrier les restes de l'écrivain Jorge Luis Borges (1899-1986), qui reposent au cimetière de Plainpalais, à Genève. L'idée était avalisée par le président de la Société argentine d'écrivains (SADE), Alejandro Vaccaro. A l'en croire, le poète avait exprimé dans sa jeunesse "le souhait de reposer dans le caveau familial", au cimetière cossu de la Recoleta, à Buenos Aires. La réponse de la veuve de Borges, Maria Kodama, a été cinglante : "Dans une démocratie, aucune personne et aucun parti ne peuvent disposer du corps d'une personne, le plus sacré." L'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa s'est porté à son secours et a qualifié l'initiative péroniste de "farce élogieuse répugnante".
"L'idée, apparemment, comptait avec le soutien de la présidente argentine elle-même, Cristina Fernandez de Kirchner, et de son mari, l'ancien président Nestor Kirchner", affirme-t-il. Or, leur gouvernement "incarne de manière emblématique tout ce que la vie et l'oeuvre de Borges refusent et fustigent : la démagogie, le populisme, le mauvais goût et la vulgarité".
Le contentieux entre l'écrivain et le péronisme remonte à loin. Lors de la première présidence du général Juan Peron, en 1946, l'opposant Borges avait été muté de la Bibliothèque nationale, où il travaillait, à un poste d'"inspecteur de volailles" sur les marchés.
L'auteur d'Histoire universelle de l'infamie est resté longtemps ignoré dans son pays. Il doit sa fortune critique au Français Roger Caillois, qui l'a traduit dans les années 1960. Aux dernières nouvelles, le projet de récupération officielle a été abandonné. "Borges n'appartient pas à l'Argentine, mais à ses lecteurs", assure Vargas Llosa, qui donne un conseil aux hommes de lettres désireux de se mettre à l'abri des "embuscades posthumes" : choisir l'incinération et faire disperser leurs cendres.
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