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Dans le Michoacan, au Mexique, l'argent des émigrés fait vivre les villages

La crise aux Etats-Unis se fait sentir au centre du Mexique, où des familles dépendent des fonds envoyés par leurs proches.

Par Joëlle Stolz

Publié le 27 novembre 2008 à 14h02, modifié le 27 novembre 2008 à 17h37

Temps de Lecture 4 min.

Il est cinq heures du soir à Las Trojas, un village de l'Etat du Michoacan. Un paysan s'éloigne, le chapeau enfoncé sur les yeux, faisant sonner le pavé sous les sabots de son cheval. Un bref instant on se croirait à Comala, le pays imaginaire de l'écrivain mexicain Juan Rulfo, enseveli dans la poussière et peuplé de fantômes. Mais c'est l'automne 2008, et la crise souffle sur le monde entier - même à Las Trojas (Les Granges), 1 000 habitants, dont un tiers vit aux Etats-Unis.

Combien vont-ils être contraints de revenir, faute de travail ? Ici, comme dans le reste du Mexique, l'argent des émigrés a changé beaucoup de choses. Les vieux murs de terre ocre ont fait place à des maisons de brique rouge, l'église est flambant neuve et l'épicerie, qui vend surtout des sodas et des sachets de soupe lyophilisée, s'appelle "Chez Mary".

Une quarantaine de personnes écoute le discours du maire, Raimundo Alcaraz, qui encourage les villageois à former une coopérative afin de commercialiser l'eau de leur source. Puis c'est au tour d'un jeune curé, le Père Marcos Linares - jeans et téléphone cellulaire à la ceinture -, de les mettre en garde : ce qui manque, c'est moins l'argent que "l'organisation collective, car la mondialisation a mis en évidence la crise du travail en équipe", autrefois le ciment des communautés rurales.

Le maire appartient au Parti révolutionnaire institutionnel (centre), héraut de la laïcité, et le prêtre à l'aile combative de l'Eglise catholique. Tous deux sont préoccupés de rompre l'engrenage du sous-développement que camoufle mal l'accumulation des biens de consommation.

Chacun sa télévision, sa machine à laver, sa maison "en dur", et un jour sa voiture : les transferts de devises des émigrés, les remesas, ont nourri pendant vingt ans ce rêve, permettant à des millions de Mexicains de sortir de la pauvreté.

En 2007, les sommes transférées ont atteint 24 milliards de dollars (19 milliards d'euros) et sont devenues la deuxième source de devises, après le pétrole mais devant le tourisme. Dans tout le pays, les magasins Elektra (groupe Banco Azteca) ont ouvert des guichets pour que les familles puissent toucher leurs mandats et acheter aussitôt, à crédit, les équipements électroménagers qu'elles convoitaient.

"ILS VEULENT RESTER LÀ-BAS"

Mais la manne tombée du firmament américain se réduit. Au Michoacan, au moins 2,5 millions de ses ressortissants sont installés aux Etats-Unis. Les remesas avaient apporté en 2007 à l'économie régionale quelque 2,26 milliards de dollars. "C'est l'équivalent du budget que nous recevons du gouvernement fédéral", souligne la secrétaire de l'Etat du Michoacan chargée des migrants, Alma Valencia.

Cette année, on prévoit un recul des remesas de 3 %. Au niveau national, la baisse a été très sensible au mois d'août : - 12 %, selon la banque centrale. "Cependant, et c'est le seul aspect positif, la dévaluation du peso par rapport au dollar compense la baisse en volume des transferts", note le gouverneur du Michoacan, Leonel Godoy.

"Il y a beaucoup de familles qui ne reçoivent plus un sou depuis des mois, remarque M. Alcaraz. Et qu'allons-nous proposer à ceux qui ne trouvent plus d'embauche aux Etats-Unis ? Ici, la majorité vit du secteur des services, du bâtiment et des remesas !" Des deux côtés de la frontière, les Mexicains se serrent la ceinture. "On s'adapte comme on peut à la nouvelle situation", soupire Noemi Suarez, une jeune mère de trois enfants. Quatre de ses six frères et soeurs sont aux Etats-Unis.

Au Michoacan, les compagnies aériennes ont baissé les prix à l'approche de Noël, dans l'espoir de remplir les avions. Il n'y a plus qu'un seul vol hebdomadaire en provenance de Los Angeles, contre trois auparavant. Le consul du Mexique à San Francisco prévoit que 30 000 émigrés iront passer les fêtes au pays. Ils étaient en moyenne 80 000 les années précédentes.

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Des chiffres alarmants ont circulé : la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) a parlé de 2 à 3 millions de Mexicains contraints de rentrer au cours des prochains mois.

Plus de 200 000, ce serait déjà "un scénario difficile" pour le Mexique, a admis le ministre du travail, Javier Lozano. D'autant que l'émigration mexicaine, selon les chiffres publiés par le gouvernement américain, aurait diminué de 42 % depuis 2006 : la récession, combinée aux raids policiers contre les "sans-papiers", s'avère plus dissuasive que les murs construits sur la frontière.

Nombre d'experts ne croient pas à un retour massif, surtout de ceux qui ont des enfants scolarisés aux Etats-Unis. "Il s'agit d'un choix de dernière extrémité, quand ils auront épuisé toutes les autres options", affirme Rafael Alarcon, sociologue du Collège de la frontière nord.

Certains Mexicains, installés en Californie ou au Texas, veulent tenter leur chance dans des régions où la main-d'oeuvre immigrée est moins abondante. Ceux qui gagnaient 15 dollars de l'heure sont prêts à en accepter 10, et deux jours de travail au lieu de sept.

"La plupart préfèrent être pauvres aux Etats-Unis plutôt que de revenir ici semer le maïs", constate Alma Valencia. "J'ai quatre neveux qui vivent en Californie et viennent de perdre leur maison à cause de la crise hypothécaire, confie-t-elle. Eh bien, ils sont retournés habiter chez leurs parents, les uns sur les autres, comme ils ont commencé. Mais ils veulent rester là-bas."

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