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L'Amérique latine, la crise et l'alternance, par Paulo A. Paranagua

Pour le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, fier de jouer dans la cour des grands, le sommet du G20, le 15 novembre à Washington, a été "historique".

Publié le 21 novembre 2008 à 14h03, modifié le 21 novembre 2008 à 14h03 Temps de Lecture 4 min.

Pour le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, fier de jouer dans la cour des grands, le sommet du G20, le 15 novembre à Washington, a été "historique". La présence du Mexique et de l'Argentine aux côtés du Brésil, qui assurait la présidence tournante du G20, a donné à l'Amérique latine un poids appréciable. Même si les trois Latino-Américains n'ont pas parlé d'une même voix, leur souci commun est de conjurer la crise, quitte à la minimiser. "Demandez à Bush", avait lancé le président Lula, comme si la crise financière trouvait aux Etats-Unis à la fois son origine et ses limites.

Au récent Forum Europe-Amérique latine, à Biarritz, l'ambiance était moins optimiste. Selon José Antonio Ocampo, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, il faut s'attendre dans les pays industrialisés à "la pire récession de l'après-guerre". La crise aura un impact en Amérique latine, estime Enrique Garcia, président de la Corporation andine de développement (CAF), une des principales institutions régionales de crédit. Avec une croissance annuelle de 5 % entre 2003 et 2007, le sous-continent est moins vulnérable que par le passé. Néanmoins, "l'époque de prospérité est arrivée à sa fin", affirme M. Garcia. La récession ou la croissance zéro des économies industrialisées devraient se traduire par un ralentissement, avec une croissance moyenne de 2,5 % en 2009 et 2010.

A première vue, l'Amérique latine résisterait mieux que l'Europe. Sauf que cette diminution de deux ou trois points de croissance compromet l'investissement public et la réduction de la pauvreté. En dépit d'inégalités persistantes, les conditions de vie s'étaient améliorées en Amérique latine grâce à des politiques publiques actives. L'universalisation de l'éducation primaire et les progrès en matière de santé figurent parmi ces avancées. La classe moyenne s'est élargie.

Cependant, l'action de l'Etat a souvent été financée par des ressources extraordinaires, provenant des prix élevés des matières premières et des denrées alimentaires exportées. Et l'impôt n'a pratiquement pas eu d'effet en termes de redistribution du revenu, note Javier Santiso, directeur du Centre de développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La prospérité ne s'est pas accompagnée d'une augmentation significative de l'investissement et de la productivité. La brèche qui sépare l'Amérique latine des économies asiatiques s'est élargie, le PIB par habitant a chuté par rapport à celui des pays développés. Les infrastructures de faible qualité constituent un goulot d'étranglement et l'intégration régionale marque le pas, ce qui prive la production d'un marché suffisamment large.

La raréfaction du crédit va réduire les marges de manoeuvre de l'Etat et inhiber les investisseurs privés. Le Plan d'accélération de la croissance (PAC) lancé au Brésil en 2007, un ambitieux programme d'infrastructures, connaîtra des difficultés de mise en oeuvre, prédit Luiz Awazu Pereira da Silva, ancien haut fonctionnaire brésilien, devenu conseiller de la Banque mondiale. M. Lula da Silva comptait sur le PAC pour imposer sa candidate à sa succession, la ministre Dilma Rousseff.

La crise met à l'épreuve la stabilité acquise depuis le reflux des dictatures militaires des années 1960 et 1970. Selon l'enquête d'opinion Latinobarometro, le soutien à la démocratie a enregistré une forte chute en 2001, lors de la crise asiatique. Un vieux fond d'autoritarisme face aux difficultés reste assez répandu, en dépit de l'attachement souvent exprimé à l'égard des institutions démocratiques. Personne n'envisage la possibilité d'un coup d'Etat, même si la théorie du complot fait partie de la rhétorique de certains pays. Mais nombreux sont ceux qui craignent les retombées sociales de la crise et leur influence sur les prochaines échéances électorales.

QUATORZE ÉLECTIONS DE 2009 À 2011

Entre 2009 et 2011, la région connaîtra quatorze élections présidentielles, sans parler de quelques législatives décisives pour l'évolution politique. Ces échéances rééditent la concentration de scrutins de novembre 2005 à décembre 2006, qui avait conforté le virage à gauche dans la région. Cette fois, le retournement de conjoncture pourrait favoriser l'alternance, comme il a aidé le démocrate Barack Obama aux Etats-Unis. En Amérique latine, l'alternance pourrait toucher des pays contrôlés par la droite, comme le Salvador, la Colombie ou le Mexique, mais aussi des nations où la gauche ou le centre gauche sont aux commandes, comme le Brésil, le Chili, le Venezuela, la Bolivie, l'Argentine, le Pérou, le Costa Rica ou le Nicaragua. D'autant que Caracas, Buenos Aires, La Paz et Managua ont perdu le contrôle de l'inflation, qui frappe les plus démunis.

Les scrutins de cette année fournissent des indications quant aux dispositions des électeurs. En République dominicaine, le président Leonel Fernandez a été réélu dès le premier tour, mais au Paraguay la victoire de l'ancien évêque Fernando Lugo à la présidentielle a mis fin à soixante et un ans de domination du Parti colorado. Au Chili, les municipales ont montré l'usure de la coalition de centre gauche, au pouvoir depuis dix-huit ans. Au Brésil, les municipales ont conforté la majorité au pouvoir mais ont aussi favorisé l'ambition présidentielle du gouverneur de Sao Paulo, José Serra, du Parti social-démocrate brésilien (PSDB, opposition). Au Nicaragua, la récente victoire des candidats sandinistes aux municipales a plongé le pays dans une crise politique. Au Venezuela, les partisans et les opposants du président Hugo Chavez mesureront leurs forces aux élections municipales et régionales du dimanche 23 novembre.

Selon Latinobarometro, les centristes sont plus nombreux (42 %) que la somme des électeurs de gauche (17 %) et de droite (22 %). Au Mexique, ce positionnement avantage le vieux Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), prêt à reprendre un pouvoir qu'il a déjà exercé pendant soixante et onze ans. Au Brésil, il favorise une alternance au profit du PSDB, propice à la continuité plutôt qu'aux ruptures. Toutefois, l'impopularité de George Bush et la crise n'ont pas suffi à assurer la victoire de M. Obama. Pour l'emporter, il a fallu aussi la performance du candidat démocrate et la dynamique de sa campagne. De ce point de vue, aucune alternative crédible n'est prête à saisir la possibilité d'une alternance en Colombie, en Bolivie ou en Argentine.


Courriel : paranagua@lemonde.fr.

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