La Russie est allée un pas plus loin dans sa volonté manifeste de contester l'"hégémonie" américaine en annonçant lundi qu'elle allait envoyer des avions de lutte anti-sous-marine au Venezuela, pays du président Hugo Chavez, bête noire de Washington.

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L'envoi également dans un port vénézuélien du croiseur à propulsion nucléaire Pierre le Grand -porteur de missiles à double capacité conventionnelle et nucléaire- et de L'amiral Tchabanenko, un bâtiment de lutte anti-sous-marine est d'abord vu par les analystes comme la réponse du berger à la bergère.

"Cela va être évidemment interprété comme un degré de tension supplémentaire, ce qui est préoccupant", a commenté Thomas Gomart, de l'Institut français de relations internationales (IFRI), dont le siège est à Paris.

Des Russes isolés

Malgré leur victoire militaire, "les Russes sortent isolés de la crise géorgienne, n'ayant reçu l'appui que de rares pays comme le Venezuela et la Syrie", a-t-il souligné.

"Ils pourraient transformer ces convergences diplomatiques en une intensification de la coopération militaire" avec les mêmes pays, a-t-il observé, rappelant que la Syrie avait offert à la Russie des facilités à son port de Tartous.

Jusqu'à présent, Moscou ne faisait que vendre des armes, notamment des chasseurs-bombardiers, à Caracas. "La Russie va-t-elle franchir un nouveau pas au risque de s'isoler encore plus?", s'est-il interrogé.

Lutte OTAN Russie

Au beau milieu de l'imbroglio sur le Caucase, cette initiative de Moscou "semble participer de deux mouvements: une contestation de plus en plus ouverte de l'hégémonie américaine, et un appui aux mouvements de renationalisation des politiques de l'énergie dont Chavez s'est fait le porte-drapeau", a analysé M. Gomart.

A Munich, début 2007, Vladimir Poutine, encore président, avait vivement dénoncé le "monde unipolaire" dirigé par Washington, dans un discours alors interprété comme consacrant le retour de la Russie au premier plan.

Cette fois, la Russie, irritée de l'installation prévue du bouclier antimissile américain en Europe centrale et de l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Otan, semble décidée à passer de la parole aux actes.

Selon Matthew Clements, analyste du groupe Jane's, à Londres le "déploiement temporaire d'un petit nombre d'avions" au Venezuela a une "signification surtout symbolique".

Pour Moscou, a-t-il estimé, ce n'est pas un retour à la Guerre froide mais une manière de dire aux Occidentaux "si vous voulez empiéter sur notre sphère d'influence, nous pouvons en faire autant à votre égard".

Moscou avait ainsi vivement critiqué l'envoi en mer Noire de la principale unité -hors porte-avions- de la 6ème flotte américaine, le Mount Whitney, juste après le conflit armé l'ayant opposé à la Géorgie.

Pour Joseph Henrotin, chercheur au Centre d'analyse et de prévoyance des risques internationaux (CAPRI) d'Aix-en-Provence (sud de la France), "on assiste à un raidissement sur le plan militaire entre l'Otan et la Russie".

Une affaire d'énergie

Et si elle a une portée "symbolique", la mesure prise par la Russie a aussi un fondement rationnel, selon lui, car le Venezuela veut acheter des sous-marins russes à propulsion diesel de classe Kilo.

"Dans un premier temps, les avions russes auront pour mission de protéger les sous-marins vénézuéliens, le temps que la marine vénézuélienne se mette à niveau et soit moins vulnérable", a-t-il expliqué.

Cette base arrière en Amérique latine permettra à la Russie de lancer dans cette zone le nouveau "grand jeu" russo-américain déjà très visible en Asie centrale et dans le Caucase.

Le colonel Christopher Langton, de l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres, s'est dit d'ailleurs "convaincu" que ce projet "avait été discuté" par Moscou et Caracas "avant la crise en Géorgie".

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