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Le cinéma mexicain à l’épreuve du piratage

mercredi 10 mars 2010, par Roxane Schultz

Cette article marque le début de la collaboration, depuis le Mexique, de Roxane Schultz, avec La Francolatina. Un début "cinématographique" puisque Roxane suivra sur place, à Guadalajara, le déroulement du Festival International de Cinéma dont la France est cette année l’invitée d’honneur.

Quel sera l’accueil réservé aux projections cinématographiques de la vingt-cinquième édition du Festival International de Cinéma de Guadalajara FICG ? Quel est actuellement l’impact de la copie illégale et du commerce informel ?

« Acheter des films piratés en dit long sur qui vous êtes ». Telle est la conclusion de la nouvelle campagne de lutte contre la piraterie cinématographique lancée par la Chambre Nationale de l’Industrie Cinématographique (Canacine). Dans le petit film tourné pour l’ocassion - voir ci-dessous - un demandeur d’emploi se fait remercier puisque, vu qu’il achète des films piratés, il y a fort à parier que son CV et tout aussi "pirate".

En le découvrant, les spectateurs d’une salle de cinéma de Guadalajara ont poussé des cris de surprise. Une réaction métissée entre prise de conscience et scepticisme. Peu surprenant lorsque l’on sait qu’il existe dans le pays plus de 30.000 points de vente illégaux liés à la piraterie cinématographique [1].

Un marché "pirate" à 90% !

En effet, en 2005, John Malcolm, directeur mondial anti-piraterie de l’Association Mondiale du Film (MPA), annonçait que le marché des films piratés au Mexique « se situait parmi les trois premiers au monde, après la Chine et la Russie » et que « les indices de piraterie au Mexique atteignaient 90% ». Autrement dit, 90% des films détenus par une famille mexicaine sont piratés.

L’industrie de la piraterie fait partie intégrante du commerce informel, un des grands fléaux de la société mexicaine. L’unique réponse à ce phénomène serait donc la législation permettant que tout acte de piraterie soit considéré comme un délit grave et pouvoir ainsi commencer à le contrôler. Contrôle qui s’avère nécessaire puisque le Mexique est considéré par la MPA comme le premier pays au monde quant aux pertes dues à la copie illégale. Le contrôle de cette activité est exercé aujourd’hui par quelques cinq réseaux se répartissant les salles de cinéma du District Fédéral, Nouveau Léon, Guadalajara et Jalisco, réseaux derrière lesquels on retrouve les groupes de délinquants notamment les narco-trafiquants, comme le signalait Federico de la Garza, le représentant de la MPA au Mexique.

Selon Lucia Rangel, vice-présidente des actions anti-piraterie en Amérique Latine et Asie chez Warner Bros, à la carence de lois inhibitrices s’ajoute la passivité des forces de l’ordre. « Si l’on compare la Chine au Mexique, la situation au Mexique est pire, car on y trouve ces grands marchés tels que Tepito, San Felipe de Jesus ou encore Guadalajara et Puebla » explique-t-elle, la différence résidant surtout dans le fait qu’en Asie « ces activités ne prennent plus place sur la voie publique, au vu et au su de la police comme cela se passe encore au Mexique ».

Ceci étant, ce phénomène n’empêche en rien le Mexique d’accueillir, dès vendredi, dans la deuxième ville du pays, le Festival International de Cinéma de Guadalajara (FICG), considéré comme le plus prestigieux d’Amérique Latine et l’un des plus importants festivals du film hispanophone dans le monde.

Les uns et les autres

Mercredi dernier, alors que la vingt-cinquième édition du FICG présentait sa programmation officielle célébrant ainsi « un quart de siècle engagé aux cotés du cinéma latino-américain », la foule continuait à se presser devant les étals du marché de San Juan de Dios proposant une sélection impressionnante de films piratés.

Cette vingt-cinquième édition accueillera notamment le Huitième Marché du cinéma latino-américain, qui réunit de nombreux producteurs et acheteurs de l’industrie cinématographique du monde entier, créant ainsi un cadre idéal aux négociations et échanges d’idées. Difficile de ne pas relever le paradoxe et la valeur symbolique de l’établissement temporaire au Mexique du marché du cinéma latino-américain alors que la piraterie continue d’y fait ses choux gras.

Certes, nombre de ceux qui la pratiquent prétendent avoir recours à la piraterie non pas par "culture" mais par nécessité. Il est vrai qu’avec un salaire minimum journalier de 54,47 MXN et une place de cinéma au prix de 56 MXN, la piraterie pourrait sembler l’unique alternative possible. C’est donc cette excuse qui est souvent avancée par la population pour la justifier. Mais ne nous méprenons pas, la nouvelle campagne de lutte contre la piraterie a été lancée dans les salles de cinéma, elle s’adresse donc bien à ceux qui ont les moyens de s’y rendre et d’acheter les films légalement.

Nous attendons donc avec impatience le lancement du festival du film ce vendredi, afin de voir si la sensibilisation à la piraterie sera un thème mis en exergue. Accueillant la France en tant que pays invité, dans le but officiel de créer entre les deux pays une dynamique d’échange, de partage, de liens d’amitié et de collaboration ; il serait intéressant d’étudier l’inspiration que le Mexique pourrait y trouver dans sa lutte contre la piraterie. D’autant plus que c’est un débat bien connu en France, pays ayant été relativement actif dans ce domaine ces derniers temps, notamment avec les lois Hadopi visant la réduction des téléchargements illégaux sur internet.

Avec un prix de 100 MXN pour quatre entrées aux projections, espérons que cette vingt-cinquième édition du FICG sera un bon moyen pour permettre aux citadins de découvrir les nouveautés cinématographiques dans un cadre totalement légal, et dans le respect de la propriété intellectuelle des artistes qui nous font l’honneur d’exposer leurs oeuvres.


[1Selon Miguel Angel Dávila, president de la Chambre Nationale de l’Industrie Cinématographique (Canacine)