Ni le président brésilien Lula ni Celso Amorim, son ministre des affaires étrangères, n'ont accepté que les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) capotent, le 29 juillet à Genève. M. Amorim confirme qu'en ce moment le Brésil se démène pour reprendre, dès septembre, les discussions dont le Brésil espère une ouverture des marchés mondiaux à ses produits agricoles.
Peut-on sauver les négociations qui ont échoué à Genève à l'OMC ?
Le président Luiz Inacio Lula da Silva a l'intuition qu'il existe encore une petite chance de conclure ces négociations. Il veut mobiliser les leaders mondiaux, leur faire mesurer les bénéfices qu'en tirerait l'humanité et les convaincre de se réunir ou de donner un ordre ferme à leurs délégués pour aboutir à la conclusion du cycle de Doha. Ce ne sera pas sans douleur et pour tous. Mais il faut faire vite, prendre rendez-vous dès la mi-septembre, à Brasilia ou ailleurs, avant que les facteurs politiques déjà à l'oeuvre - les enjeux électoraux aux Etats-Unis et en Inde -, interfèrent encore plus.
Le président Lula s'est entretenu avec George Bush à ce sujet. A Pékin, il a discuté avec son homologue Hu Jintao. Il doit téléphoner au premier ministre indien. Nous sommes en contact avec les Australiens et les Indonésiens. Nous avons été si près du but que les responsables politiques peuvent débloquer la situation. Avec l'autorité de quelqu'un qui a surmonté tant d'obstacles dans sa vie, le président Lula peut les en convaincre.
Pourquoi les négociations de Genève ont-elles échoué ?
Le temps nous dira si c'est un échec. J'étais très pessimiste en quittant Genève, qu'après tant d'efforts, de concessions et de sacrifices, les négociations aient capoté. Nous avons buté sur un obstacle politique que nous n'avons pas assez travaillé, comme nous l'avions fait pour les quotas ou les subventions agricoles.
Nous avions réussi à nous entendre sur "le triangle de Pascal" (Pascal Lamy, directeur général de l'OMC), ces trois gros dossiers que sont l'accès des produits agricoles au marché de l'Union européenne, l'accès des produits industriels aux marchés des pays en développement et les subventions agricoles américaines. Et nous avons buté sur tout autre chose !
Il est d'ailleurs curieux que l'Inde ait discuté si âprement, non pour protéger un avantage acquis, mais pour imposer un nouvel instrument qui n'existait pas, ces clauses de sauvegarde spéciales destinées à protéger son marché agricole. Nous y avons tous perdu.
En tant que géant agricole, le Brésil n'est-il pas le grand perdant ?
Le Brésil ne se battait pas pour un milliard par-ci, par-là. Le Brésil est un pays qui compte, sans être pour autant une puissance mondiale. Sa vision géopolitique est pourtant très claire : nous sommes convaincus que le système multilatéral est essentiel dans le monde d'aujourd'hui et que les accords bilatéraux ne sont pas une bonne solution. L'OMC a des défauts, mais elle fonctionne plutôt bien. L'absence d'accord affectera surtout les pays pauvres, car les subventions et les barrières douanières se paient en vies humaines, en privations pour de nombreuses populations et en retard de développement pour certaines nations.
Bien sûr, le Brésil y perd à court terme, mais nous avons des sols inexploités, du soleil, de l'eau, de la technologie, et nos exportations agricoles ne cessent d'augmenter. Nous pratiquons déjà le multilatéralisme et nos exportations sont bien réparties : 25 % vers l'Europe, 25 % vers l'Amérique latine, 15 % vers les Etats-Unis et 15 % vers l'Asie.
Est-il possible de conserver les avancées enregistrées durant la négociation ?
Si nous reprenons rapidement les discussions, il est probable que nous continuerons là où nous nous sommes arrêtés. Mais si la reprise est dans deux à trois ans, je crains que de nouveaux calculs et des réflexes protectionnistes aient le temps de remettre en cause les acquis. J'ai de gros doutes, par exemple, sur l'accord passé au sujet de la banane. L'éthanol en est au stade des tractations - avancées avec l'Europe, moins avec les Etats-Unis.
Pour le coton, la frustration des Africains est immense. Nous avons commis une erreur, car nous aurions dû discuter plus, afin que les pays concernés sachent ce qu'ils gagneraient à un accord. Faute d'une vision claire sur ces avantages, ils se sont focalisés sur des détails.
Le G 20, groupe de pays émergents, est-il toujours uni autour du Brésil ?
Le G 20 a eu le tort d'accepter, sans le chiffrer, le concept des mécanismes spéciaux, telle la clause de sauvegarde. Il faut comprendre les difficultés de certains, comme l'Argentine et l'Afrique du Sud, et imaginer pour eux des solutions spécifiques et temporaires.
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