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Une journée particulière

lundi 23 novembre 2009, par Jean-Jacques Salgon

Dans Les Larmes de Rio, publié récemment chez Aubier, l’historien rochelais Laurent Vidal nous convie à une passionnante enquête sur cette journée particulière que fut pour tous les Cariocas le 20 avril 1960, jour du transfert de la capitale du Brésil à Brasilia.

Deux concepts se rattachent au Temps : celui de durée et celui d’instant. En principe, les historiens s’intéressent plutôt à la durée, tentent d’en extraire des lois ou des invariants, des processus, et quelquefois sur de longues périodes comme ce fut le cas pour ceux de l’École des Annales. Dans Les Larmes de Rio, son dernier ouvrage, Laurent Vidal prend le parti inverse : il choisit de s’intéresser à l’instant, ce que les historiens nomment « événement ». L’événement, c’est quand « il se passe quelque chose », comme ce 20 avril 1960, lorsque sous la conduite du président Juscelino Kubitschek, la ville de Rio de Janeiro va cesser d’être capitale du Brésil au profit de Brasilia qui le deviendra, elle, le lendemain. La cité des Cariocas, la « Cité Merveilleuse », la « Capitale éternelle de l’Allégresse et de la Solidarité » (ainsi que la nomme une hôtesse de l’air) ne perd pas tout puisque dans le même temps elle devient capitale du nouvel état de Guanabara.

C’est avec la passion et l’entêtement d’un chercheur de trésor que Laurent Vidal se lance dans l’exploration des traces qui subsistent aujourd’hui de cet événement dans la mémoire collective, traces écrites (principalement dans la presse) ou orales (chez les témoins qu’il interroge). Si, dans un premier temps, il nous reconstitue avec minutie le déroulé de cette journée particulière, c’est pour mieux en venir à la question et à la méthode (question de méthode) qui sont les siennes : comme l’événement (qui est du registre du Réel Lacanien) résiste à la conceptualisation, on ne peut qu’en recueillir l’écho (un peu comme on le fait pour les particules élémentaires sur les détecteurs des grands accélérateurs). Puisque le matériau de l’historien, c’est la mémoire des hommes, que cette mémoire (on le sait depuis Nerval et Proust) est en rapport direct avec les affects, c’est du côté de l’affectif que Vidal va déployer les capteurs de son sismographe. Comment l’événement a-t-il été ressenti, intériorisé, par les humains qui constituent le système nerveux central, « l’âme » de cette ville ? Comment cette mort et cette résurrection ont-elles été sensiblement éprouvées (dans tous les sens du terme) ? Les réponses à ces questions, Laurent Vidal les trouve naturellement chez les poètes (dont il nous livre un beau florilège à la fin de son ouvrage) car, selon lui, « l’événement est moins vécu (en conscience) qu’effectivement éprouvé (par le corps et les sens) ».

Outre ce travail d’élucidation, passionnant par le parcours qu’il nous propose puisque nous suivons l’auteur dans son enquête et ses pérégrinations à travers la ville, c’est aussi, en contrepoint et par la ferveur que l’on sent animer le geste de l’auteur, un véritable chant d’amour à la ville de Rio et plus largement au Brésil. Ainsi, les larmes de Rio ne sont-elles pas seulement les larmes de la saudade (cette forme de mélancolie que les Cariocas ont héritée des Lisboètes) à la vue de ce qui est défait par le Temps, ce sont aussi des larmes de joie. Celles que Laurent Vidal, à la fin de sa passionnante enquête, nomme « les larmes de la renaissance » et qui sont aussi selon lui « les chants du possible ».


Laurent Vidal, Les Larmes de Rio, Aubier, Août 2009, 244p, 22 €