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Aimé Bonpland ou le « prince de l’optimisme » (I)

lundi 21 septembre 2009, par Jean-Jacques Salgon

Avec ce texte [1] de l’écrivain français Jean-Jacques Salgon [2]. consacré au botaniste français Aimé Bonpland, nous commençons en beauté la publication de 200 Portraits pour un Bicentenaire : la vie, l’œuvre et, bien souvent, les aventures de ces Français et Latinoaméricains qui ont façonné 200 ans d’amitié "francolatina".

Il est des aventures humaines pour le succès desquelles il vaut mieux être deux. Que seraient les ascenseurs sans Roux et Combaluzier, les tables de logarithmes sans Bouvart et Ratinet, les nougats de Montélimar sans Chabert et Guillot ? Les deux lascars qui nous intéressent ici l’ont sans doute compris dès leur première rencontre.

Aimé Bonpland

Celle-ci a lieu un jour d’avril 1798 dans le hall de l’hôtel Boston, un petit hôtel parisien sis 7, rue du Colombier, aujourd’hui rue Jacob, à deux pas du Quartier Latin.
Par le plus pur des hasards, Alexandre de Humboldt et Aimé Bonpland, puisque c’est bien d’eux qu’il s’agit, y ont chacun loué une chambre. Alexandre a 29 ans. Un soir, il croise un jeune homme de 25 ans qui rentre d’herboriser, chapeau à large bord, bottes à revers, sa boîte de naturaliste en bandoulière. Les sachant tous les deux férus de sciences, l’hôtelière fait les présentations. Et l’on peut dire qu’entre eux, c’est le coup de foudre
 : durant cinq ans, ils ne se quitteront plus. Il y a d’ailleurs du Bouvard et Pécuchet dans cette rencontre tout de même plus noble et plus fructueuse que celle des deux héros flaubertiens. Humboldt, tout comme Bouvard, vient de faire un héritage. Bonpland le Rochelais est médecin militaire, formé par les meilleurs cliniciens du temps, Desault et Corvisart, et passionné de botanique ; Humboldt a tout étudié, physique, mathématiques, anatomie, sciences de la nature et de l’ingénieur, grec, latin ; ce sont deux enfants des Lumières et de l’Encyclopédie.

La Révolution souffle encore auprès d’eux un air de conquête et le monde leur est offert qui ne demande qu’à être exploré et déchiffré. Dans les serres des jardins du Muséum où ils se retrouvent vont naître de grands projets. Humboldt vient d’être accepté comme membre à titre payant de l’expédition que prépare, à la suite de Bougainville, le Rétais Nicolas Baudin. Mais conséquence de la coûteuse campagne d’Egypte décidée par le Directoire, le voyage de Baudin est ajourné. Qu’à cela ne tienne, on partira avec ses propres deniers pour rejoindre en Egypte l’équipe des savants embarquée par
Bonaparte. Alexandre n’a aucun mal à convaincre son comparse de participer à l’aventure, celui-ci se trouve parfaitement libre, il vient tout juste de rompre ses fiançailles.

Voici nos deux globe-trotters à Marseille. On doit embarquer à bord d’une frégate espagnole pour Alger, ensuite rallier Tunis et Tripoli, puis se joindre jusqu’au Caire à une caravane de pèlerins se rendant à La Mecque. Mais le dey d’Alger, en réaction au débarquement d’Alexandrie, ferme l’accès du port aux navires étrangers et refuse les visas. D’ailleurs la frégate espagnole n’arrive pas. On décide de partir à pied jusqu’en
Espagne afin d’y trouver un embarquement pour la Turquie et la Syrie.

« La vie ambulante est celle qu’il me faut » dit quelque part Rousseau dans Les Confessions.
On ne peut s’empêcher de penser au bonheur éprouvé par nos deux jeunes voyageurs, vadrouillant à travers les paysages de la Catalogne ou de l’Andalousie, sans souci d’argent, dormant au hasard des auberges, assistant aux courses de taureaux, herborisant le jour, le soir traînant avec les danseurs de sardane ou les gitans des bars à
flamenco, goûtant à tout, curieux de tout. Mais ni à Barcelone, ni à Valence, ni à Alicante ils ne parviennent à trouver un embarquement pour la Turquie.

Bonpland et Humboldt dans la jungle

Les voici à la légation de Prusse à Madrid, sollicitant du baron Von Forell, un vieil ami du père d’Alexandre, une intervention auprès du Roi afin d’obtenir le visa qui leur
ouvrira les portes de l’Amérique du Sud. Le Roi accorde son paraphe et nos deux voyageurs s’embarquent début juin 1799 à bord du Pizzaro pour de nouvelles aventures. En en lisant le récit dans le livre de Philippe Foucault1, on ne peut s’empêcher de songer à
Indiana Jones et au Royaume du crâne de cristal. Leur voyage va durer cinq ans avec une plongée dans l’enfer vert de la jungle amazonienne qui leur fera remonter
l’Orénoque, puis rallier le rio Negro pour revenir vers le fleuve initial par cette branche nommée Casiquiare et par laquelle une nature bien décidée à compliquer la tâche
des géographes a choisi de faire communiquer – c’est du jamais vu – deux bassins fluviaux distincts.

Imaginons nos deux intrépides savants, bardés d’instruments scientifiques, en hauts-de-forme et bottes de cuir, lancés à l’assaut du pic de Teyde, inventant au passage la
phytogéographie, récoltant graines et plantes, pénétrant à la lueur des torches dans les grottes des Guacharos où des milliers d’oiseaux proches de l’engoulevent (Bonpland les baptisera Steatornis caripensis) fournissent aux Indiens graisse pour la cuisine et l’éclairage, remède contre la fièvre jaune. Des colonies de rats courent sur leurs fientes et dévorent les oisillons tombés du nid. Alors qu’ils traversent la Plaza Mayor de Cumana
où se tient régulièrement le marché aux esclaves, Aimé grimpe sur un grand manguier et en redescend triomphant, exhibant devant ses compagnons éberlués sa première orchidée pourpre et jaune nommée Dimeranda emarginata. Depuis Cumana, ils trouvent d’ailleurs le moyen d’expédier vers l’Europe des échantillons de 1 600 plantes dont 500 nouvelles, parmi lesquelles un anacardier, 50 espèces de fleurs de la passion, passiflores,
cinéraires, fuchsias, zinnias, orchidées…

Bonpland et Humboldt dans l’Orénoque (Tableau de Otto Roth von Holzstich)

Accompagnés comme tout bons explorateurs de leur fidèle truchement Indien, le jeune Carlos, les voici partis à l’assaut des sources de l’Orénoque. Ils remontent la vallée de l’Aragua, redescendent l’Apure, atteignent l’Orénoque le 5 avril 1800. De là ils remontent le fleuve. Leur barque à voile carrée, avec neuf personnes à bord, remorque une petite pirogue, et porte en guise de figure de proue des cages emplies de volailles « une vraie arche de la science caquetante », comme le note Foucault. Ils franchissent des cataractes, sont pris dans des tornades tropicales qui emportent livres et herbiers, affrontent les nuées de moustiques, les piranhas, les fourmis carnivores et les gymnotes.

A la mission de Carichana les Franciscains les conduisent sur les Iles aux tortues. Des oeufs de ces tortues, les Indiens extraient une huile qui sert à la pré-paration de l’onoto. Par un rapide calcul Alexandre trouve qu’on détruit ainsi 33 millions d’oeufs par an.
Nos deux savants prédisent la disparition de l’espèce. Mais fort heureusement il y en a d’autres : des crocodiles, des jaguars, des singes ricaneurs, des boas, des pécaris, des tapirs, des lamantins, des faisans, des perruches. On remonte l’Atapabo et à la mission de
Javita on tire la barque hors de l’eau et, sous une pluie battante, on la pousse sur des rondins de bois pour lui faire franchir les dix-huit kilomètres qui permettent de rallier le bassin du rio Negro. En chemin Aimé trouve encore le moyen de récolter 12 nouvelles espèces de salsepareilles, 4 de lauriers, 90 de palmiers, plus un dapicho, l’arbre à caoutchouc, et un nouveau caféier. Il découvre le curare et s’initie à la pharmacopée
indienne. Puis c’est le Casiquiare, ses inextricables méandres dans un air empoissé de brumes qui interdit de faire le point. La barque glisse dans sorte de labyrinthe végétal et opaque, hanté par le cri des singes, peuplé de papillons et de moustiques et dont seuls les
Indiens savent déjouer les pièges. Enfin on retrouve l’Orénoque, Bonpland en proie au paludisme grelotte sur sa litière, mais il reste encore 2 500 kilomètres à
parcourir, ce qui est fait en moins de deux mois.

(A suivre : La Havane, Paris , Buenos Aires et...la yerba)


[1Nos plus vifs remerciements à nos amis d’Actualité Poitou Charentes qui nous ont permis la publication de ce texte paru dans le N° 85 de leur excellente revue

[2Fils et petit-fils d’instituteurs, né en Ardèche en 1948, Jean- Jacques Salgon est scientifique de formation. Grand voyageur et écrivain, il a obtenu des nombreuses récompenses dont le Prix de la Nouvelle de la Société des Gens de Lettres 1993 pour 07 et autres récits ; le Prix du livre en Poitou-Charentes 2005 pour Les Sources du Nil. Chroniques rochelaises (L’Escampette). Ses derniers livres publiés : Le Roi des Zoulous (Verdier, 2008), Papa fume la pipe (L’Escampette 2008), prix Tortoni 2009