De loin, les collines de Petare forment un immense demi-cercle rouge. De près, des milliers de cubes de brique s'étalent et s'empilent dans un entrelacs pyramidal à l'équilibre précaire sillonné de venelles et d'escaliers abrupts. Petare est l'un des plus grands quartiers populaires d'Amérique latine. Ce barrio pauvre de Caracas, qui appartient à la municipalité de Sucre, était une citadelle électorale du pouvoir d'Hugo Chavez. Dimanche 23 novembre, lors du scrutin régional et municipal, Petare a basculé dans le camp de l'opposition au président vénézuélien. Ce revirement a contribué à propulser l'opposant Antonio Ledezma à la mairie de Caracas, de l'aveu même du perdant, Aristobulo Isturiz.
Pourquoi un tel retournement ? Chacun y va de son explication. Joicer, 24 ans, travaille comme serveur dans un restaurant. Originaire de province, il est venu avec sa mère à Caracas pour y travailler. Il a voté pour l'opposition parce qu'il n'aime pas les "chavistes", auxquels il reproche leur "arrogance" : "Ils croient tout savoir et ont toujours raison", résume-t-il.
Les électeurs, affirme Gerardo Gomez, un employé du marché couvert, ont voulu "punir" les élus sortants pour leur indifférence envers les difficultés de la vie quotidienne. Les raisons de se plaindre sont nombreuses. Il y a les trous dans la chaussée, l'absence de lumière dans les ruelles, les glissements de terrain lorsque la pluie se déchaîne, comme récemment lorsque d'incessants orages ont tué 14 personnes et paralysé Caracas.
Il y a aussi le temps perdu dans les interminables déplacements à cause des embouteillages d'une ville asphyxiée par la circulation et de la faiblesse du réseau de transports en commun, même si la station de métro, qui est proche, rend de nombreux services. Il y a l'inflation, qui galope au taux annuel de 36 %, mange les salaires et décourage toute épargne. Il y a les ordures qui s'éternisent sur les trottoirs et transmettent des maladies aux enfants.
LE FLÉAU DE LA CRIMINALITÉ
Il y a surtout la criminalité, ce fléau dont tout le monde se plaint. Ligia, la quarantaine avenante, tient avec son mari, un ancien menuisier, un étal ambulant qui offre des fruits superbes. Il y a quelques jours, elle raconte avoir vu devant son éventaire un homme en poignarder un autre mortellement. Dans une rue commerçante voisine, la maison funéraire, précise une inscription, "est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre".
Avec 13 000 homicides en 2007, soit 48 pour 100 000 habitants, le Venezuela est le pays le plus sanglant d'Amérique latine. Les homicides y sont la première cause de décès des jeunes de 15 à 24 ans. Dans certains quartiers comme Petare, les assassinats sont deux à trois fois plus nombreux que dans le reste du pays.
La population pauvre est celle qui souffre le plus de la violence : vols à main armée, enlèvements, règlements de comptes entre trafiquants de drogue. Le pouvoir n'a jamais pris le problème à bras-le- corps. La valse des ministres de l'intérieur, une dizaine depuis 1998, a aggravé la situation. Les adversaires d'Hugo Chavez l'accusent même d'avoir involontairement encouragé la violence en fustigeant sans cesse les "oligarques" responsables, selon lui, de la misère.
Le nouveau maire de la municipalité de Sucre - l'une des cinq de Caracas - a fait de la lutte contre l'insécurité l'un de ses chevaux de bataille. A 37 ans, Carlos Ocariz a déjà une solide expérience à son actif. Fondateur d'un petit parti d'opposition, Primero Justicia (Justice d'abord), il est devenu, en 2000, le plus jeune député du pays. Il s'est spécialisé dans le travail social et a beaucoup arpenté le terrain. Il jouit d'une bonne image et incarne l'un des espoirs de renouveau de l'opposition.
Hugo Chavez, qui a senti le danger, a multiplié les meetings à Petare. Mais cela n'a pas suffi. Le président a toujours affirmé que les pauvres étaient dans le camp de la "révolution bolivarienne". Carlos Ocariz vient de lui infliger un cinglant démenti.
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