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La Russie reprend pied en Amérique latine

Le président russe, Dmitri Medvedev, effectue une tournée dans quatre pays latino-américains.

Par Marie Jégo (Moscou) et Jean-Pierre Langellier (Caracas) avec Jean-Michel Caroit (Saint-Domingue)

Publié le 25 novembre 2008 à 14h20, modifié le 25 novembre 2008 à 14h20

Temps de Lecture 5 min.

Après avoir assisté au Forum économique Asie-Pacifique (APEC) à Lima (Pérou), le président russe Dmitri Medvedev, escorté par un aréopage d'industriels, est attendu au Venezuela, mercredi 26 novembre, puis à Cuba, jeudi, après s'être rendu au Brésil du 24 au 26 novembre.

Qualifiée par la presse moscovite de "seconde découverte de l'Amérique", la tournée de M. Medvedev marque le retour de la Russie dans une région longtemps considérée comme "l'arrière-cour" des Etats-Unis, mais dont Washington s'est largement désintéressé depuis les attentats du 11 septembre 2001. Avide de faire contrepoids à l'influence américaine, Moscou entend reprendre pied dans la zone. "Et cette fois, nous revenons pour toujours", assure un porte-parole de la diplomatie russe, Alexeï Sazonov.

Pour mener à bien ce projet, le président Medvedev dispose de deux viatiques - l'énergie et les ventes d'armes - et d'un mot d'ordre : la "multipolarité". L'implantation de la Russie dans la région a trois dimensions : politique, économique et militaire. Point culminant de la tournée : Dmitri Medvedev assistera depuis le Venezuela aux premiers exercices navals conjoints en mer des Caraïbes.

La flottille russe - guidée par le croiseur amiral à propulsion nucléaire Pierre-Le-Grand - se livrera à la première démonstration militaire russe dans les eaux caraïbes depuis la fin de la guerre froide. Depuis la crise des missiles russes à Cuba, en 1962, les navires de guerre soviétiques évitaient de croiser dans la région. Moscou n'en fait pas mystère : ces manoeuvres sont une riposte à l'envoi de navires de guerre américains en mer Noire lors du conflit russo-géorgien d'août.

Les évolutions navales de la Russie ont une valeur symbolique. Moscou avait d'emblée précisé que le Pierre-Le-Grand ne transporterait aucune tête nucléaire sur les douze missiles qui l'équipent. Faire autrement aurait enfreint le traité de Tlatelolco (1967) par lequel les Etats de la région se sont engagés à en préserver la dénucléarisation.

Moscou et Caracas ont choisi le moment opportun pour sceller leur entente : l'intérim présidentiel à Washington, qui accroît leur liberté d'action et instaure des faits accomplis avant l'entrée en fonctions de Barack Obama. Politiquement, les deux pays ont un vif intérêt mutuel à se rapprocher, aux dépens de Washington. La Russie a saisi au vol l'occasion offerte par le Venezuela de contester l'"hégémonie" américaine dans la région en empiétant sur leur zone d'influence. Ce défi est l'une des réactions russes à l'installation prévue du bouclier antimissile américain en Pologne et en République tchèque et à l'accession éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie au statut de candidat officiel à l'OTAN.

De même, pour avoir reconnu l'indépendance autoproclamée de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, les régions séparatistes de Géorgie, le Nicaragua fait l'objet des attentions russes. Le président sandiniste Daniel Ortega est attendu à Moscou en décembre et une rafale de projets sont à l'étude, dont la construction d'un port en eau profonde à Monkey Point.

UN CHEVAL DE TROIE IDÉAL

Vu de la forteresse du Kremlin, le Venezuela, chef de file de "l'anti-impérialisme" en Amérique latine, est le cheval de Troie idéal. Comme les dirigeants russes, le président vénézuélien Hugo Chavez veut la fin du monde "unipolaire". Il s'est rendu sept fois au Kremlin depuis 2001, dont deux cette année. En une occasion au moins, il a regretté la disparition de l'Union soviétique, qui, a-t-il dit, "nous manque beaucoup".

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Caracas est devenu le premier client militaire de la Russie dans la zone. Pour moderniser son armée, M. Chavez s'est tourné vers l'Est, achetant pour 4,4 milliards de dollars de matériel à la Russie entre 2005 et 2007. En septembre, Moscou a octroyé à son partenaire un prêt de 1 milliard de dollars pour des acquisitions d'armes. Les dirigeants russes se veulent rassurants. Les manoeuvres navales et les achats d'armement ne sont dirigés contre "les intérêts d'aucun pays". Y voir un défi à Washington est "une vision héritée de la guerre froide", a noté le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. D'ailleurs, faire des affaires dans le domaine civil n'est pas moins important.

L'homme clé des contacts entre le Kremlin et le Venezuela n'est autre que le vice-premier ministre russe Igor Setchine, planificateur numéro un en matière d'énergie. Pétrole, gaz, or, fer, bauxite : tout intéresse Moscou. Les deux pays ont constitué, autour des entreprises d'Etat Gazprom et de PDVSA, un consortium énergétique, "le plus grand de la planète", selon M. Chavez. Une banque commune dotée d'un fonds de 4 milliards de dollars a été créée. Les deux compagnies ont lancé, le 8 novembre, le forage du premier puits de gaz dans le golfe du Venezuela.

Il faut toutefois remettre les choses en perspective. La Russie ne fait pas encore partie des grands partenaires commerciaux du Venezuela. En tête de liste, et de très loin, figurent les Etats-Unis, premier client pétrolier de Caracas. Plus largement, les échanges commerciaux de la Russie avec l'Amérique latine sont quantité négligeable : 15 milliards de dollars au total, soit moins que ceux de Moscou avec le Kazakhstan.

Autre partenaire clé de Moscou en Amérique latine, Cuba, dernière étape du voyage de M. Medvedev. Distendues depuis l'effondrement de l'URSS en 1991, les relations repartent du bon pied. Les visites de haut niveau se sont multipliées. En trois mois, le vice-premier ministre russe Igor Setchine a fait trois fois le déplacement. Pendant le séjour du président russe, des accords sur l'exploration pétrolière et celle du nickel, principal produit d'exportation de l'île, devraient être signés. Un projet de modernisation de la flotte aérienne cubaine est dans l'air. Moscou a annoncé une ligne de crédit de 335 millions de dollars pour l'achat d'équipements russes.

La tournée de Dmitri Medvedev, largement médiatisée, s'inscrit pourtant à contretemps. Lorsque les planificateurs du Kremlin l'ont conçue il y a quelques mois, le prix du baril, principal ressort de la croissance russe, était à son zénith (150 dollars en juillet) et la crise financière n'avait pas encore frappé. Avec un baril à moins de 50 dollars, la donne a changé. "La crise et la mauvaise conjoncture autour du pétrole risquent de porter un coup à la rentabilité de projets perçus jadis comme rentables", explique Mikhaïl Kroutikhine, spécialiste de l'énergie.

Ainsi, le projet de construction d'un gazoduc du Venezuela au Brésil n'est plus guère évoqué. Le géant russe Gazprom, opérateur de sa construction, y a semble-t-il renoncé, faute de liquidités. Le Venezuela, exportateur de pétrole, n'est pas mieux loti. "Depuis que ce pays a réclamé un crédit pour ses achats d'armes, il est clair que ses finances ne sont pas au mieux de leur forme", a rappelé, vendredi 21 novembre, le quotidien Kommersant.

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