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Jorge Edwards, persona non grata : bis repetita ?

jeudi 16 septembre 2010

C’est en 1971 que Fidel Castro déclara pour la première fois "persona non grata" l’écrivain et diplomate envoyé à l’époque par Salvador Allende. Quelques uns de ses compatriotes viennent de faire de même parce que, selon eux, le nouveau représentant chilien en France "n’est pas un personnage fiable, intellectuellement honnête et loyal".

Que les festivités du Bicentenaire semblent de nature à provoquer des montées inattendues d’adrénaline, le prouve l’agitation que connaît ces jours-ci la communauté chilienne de France et tout particulièrement quelques unes des nombreuses associations qui les regroupent.

10 d’entre elles [1] viennent en effet de publier une longue déclaration dans laquelle ils accusent l’écrivain Jorge Edwards, le nouvel ambassadeur chilien en France, d’avoir "mis sa plume au service de l’impunité", de chercher à "ternir l’image d’Allende" et à "occulter les véritables responsables du coup d’Etat aussi bien à Washington qu’à Santiago, (...) la main étrangère qu’Allende a dénoncé dans son dernier discours".

Le conflit intervient d’une certaine manière au "pire moment" pour la communauté chilienne qui, comme chaque année, a prévu de se retrouver samedi 18 septembre à Savigny-le-Temple pour la traditionnelle Fiesta Chilena destinée à commémorer la fête nationale. Une commémoration qui, bicentenaire de l’indépendance oblige, se devait d’avoir cette année un éclat particulier. Comme à l’habitude, l’ambassadeur chilien était censé - drôle de paradoxe - inaugurer les festivités organisées par ceux-là mêmes qui viennent de le déclarer persona non grata.

No hay primera sin segunda

Une "distinction" que l’écrivain et diplomate avait déjà reçu un première fois en 1971. À l’époque, le gouvernement de Fidel Castro n’avait ni compris ni apprécié que le représentant du Chili d’Allende et de l’Unité Populaire s’amuse à fréquenter des intellectuels dissidents.

Gabriel García Marquez, Jorge Edwards, Mario Vargas Llosa et José Donoso. Photo D.R.

Non sans une certaine fierté, il avait raconté en 1973 son aventure cubaine dans un livre qu’il avait appelé...Persona non Grata. Entre temps, le gouvernement de Salvador Allende l’avait envoyé à Paris travailler aux côtés de Pablo Neruda.

Écarté de la diplomatie après le coup d’état, Edwards s’installe alors en Espagne où il se consacre principalement à la littérature. Il ne retourne au Chili qu’en 1978. Ambassadeur auprès de l’Unesco pendant le deuxième gouvernement de la coalition de centre gauche qui succéda à Pinochet, il étonna et déçut plus d’un en annonçant son soutien au candidat de droite, Sebastian Piñera, qui a décidé d’en faire son ambassadeur à Paris.

C’est très probablement ce parcours zigzaguant qui, quarante ans après ses déboires à Cuba, a poussé quelques uns de ses compatriotes résidant en France à déclarer "nous, chiliens en exil en France, interdits, à cause de l’illégitime Constitution de Pinochet et le veto du même secteur politique et social du Monsieur Edwards, d’exercer nos droits élémentaires de citoyens, n’avons d’autre option, pour exprimer notre rejet à sa personne et à sa politique, que de le déclarer, pour le Bicentenaire de l’indépendance du Chili, Persona non Grata durant notre célébration". [2]

No hay primera sin segunda ? [3]

 Lire le texte intégral de la déclaration.
 Une interview vidéo de Jorge Edwards sur le site du Salon del Libro


[1Il s’agit des associations Casa Chile, Ex-prisonniers politiques chiliens en France, Terre et Liberté pour Arauco, Orly-Chili Solidarité, Salvador Allende, AFAENAC, Culturelle Franco-chilienne de Nantes, SFC pour le Droits de l’Homme, Proyecto Aconcagua en Grenoble ainsi que du Parti Communiste du Chili en France.

[2Contactée, l’ambassade du Chili à Paris n’a pas souhaité s’exprimer

[3En ces jours de fête nationale, les Chiliens sont nombreux à danser la cueca. Se déroulant en "deux actes" cette "danse nationale" est souvent animée par les spectateurs aux cris de "vueeelta" et "no hay primera sin segunda" destinés à rappeler aux danseurs qu’un seul tour ne suffit pas.